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.Sous les braises, Catherine mettait chauffer de gros galets dont elle bassinait leur couche.Elle en plaçait également dans le fond de leur abri de toile, mais ce n’était guère qu’une illusion de chaleur que ces pierres leur donnaient.Où conduisait donc ce cheminement harassant ? Verrait-on jamais le terme de cette route d’espérance ? N’avait-on point passé sans le voir ce lieu où, pourtant, Raoul affirmait que déjà des ouvriers avaient bâti de vraies maisons ?Nul ne demandait plus rien.Chacun s’accrochait à la présence des autres.Le silence était la seule réponse aux propos de Raoul qui tentait encore de plaisanter.Et puis, un soir, alors qu’un ciel uniforme et sans clarté pesait sur eux, un cri du coureur de bois les tira de leur accablement.— Regardez !Levant la tête, loin devant eux, ils virent clignoter deux yeux d’or.Le flot où miaulait un nordet glacial étirait les reflets jusque vers eux comme pour leur tracer un double sentier de lumière.DEUXIÈME PARTIELA SAISON MORTE15Ils se tenaient immobiles autour de la table, engoncés dans leur fatigue comme en un vêtement douillet.Par-delà l’odeur âcre des pipes, la baraque sentait bon le feu et la soupe au lard.La lumière qui tombait d’une grosse suspension de cuivre éclairait la table encore encombrée.Au milieu, dans un large plat blanc, un morceau de pouding au riz baignait comme un îlot neigeux dans son sirop d’érable.D’épais quartiers de silence permettaient d’entendre le vent le long du toit.Une tôle battait sourdement quelque part.Catherine et son mari assis côte à côte sur un banc se tenaient accoudés devant leur assiette vide, un peu écrasés.Des rigoles de sueur marquaient de noir le visage d’Alban.Son front portait la trace de son chapeau qui avait déteint.En dépit de sa fatigue, la jeune femme avait eu un sursaut de coquetterie et pris soin de relever dans un foulard bleu ses cheveux mal coiffés dont seules quelques mèches dépassaient sur les tempes.En face d’eux, Raoul et Stéphane paraissaient moins épuisés.Le coureur de bois avait écarté son tabouret.Une jambe repliée, la cheville droite sur le genou gauche, il semblait tout à fait à l’aise.— Tout de même, venir de si loin, avec tout ce fourbi et des enfants si jeunes !L’homme qui répétait cela pour la troisième fois s’appelait Hector Lavallée.Il était à une extrémité de la table.À l’autre bout, se tenait Léandre Ouimet.En parlant, Hector Lavallée s’était tourné vers un angle de la pièce que l’abat-jour tenait dans la pénombre.Sur un matelas déroulé à même le plancher, Louise et Georges dormaient, couverts jusqu’aux oreilles.Léandre Ouimet observa :— Vous auriez pu monter par le train jusqu’à Cochrane.— C’était pas plus facile, fit Raoul.Du Nord Témiscamingue, faut redescendre.Ça fait des milles et des milles, et les transports sont pas pour rien.— Vous n’aviez pas de bête ?— J’avais un cheval, dit Alban.Il a crevé l’hiver dernier.Le silence se reforma.Leur misère ainsi exposée aux regards des deux inconnus, à présent, un peu de gêne les prenait.Hector Lavallée était un petit homme maigre et brun d’une quarantaine d’années.Une forte moustache grise jaunie par le tabac battait des ailes sur ses lèvres minces.Sa langue habile déplaçait sans cesse un mégot aplati qu’il rallumait souvent.Comme son énorme briquet de cuivre donnait une longue flamme terminée par une queue de fumée noire, il inclinait la tête et avançait les lèvres pour éviter de brûler ses moustaches.Ses sourcils épais tenaient à l’ombre de petits yeux trop rapprochés.Ses prunelles noires luisaient de malice.M.Ouimet, plus rond, à peine plus grand, montrait un visage lourd, rasé de près, qui luisait, contrastant avec la barbe mal faite de Raoul et d’Alban.Léandre Ouimet était l’ingénieur chef de chantier, Hector Lavallée son géomètre.Au crépuscule, lorsque des appels les avaient tirés de leur baraque, ils avaient tout d’abord refusé de croire que ces deux canots pareillement chargés et équipés arrivaient de si loin.Avec quatre ouvriers sortis d’un autre campe, ils avaient procédé au déchargement et transporté le matériel dans une remise où se trouvait leur outillage.Durant le débardage, Catherine et les deux petits se chauffaient en buvant du thé près du gros poêle de tôle où brûlaient de bonnes bûches.Tout au long du repas, les nouveaux venus avaient raconté leur voyage.À présent, M.Ouimet donnait des explications :— Ça fait depuis le début de juillet qu’on est là.Le gros de notre travail, ce sera le pont.Un bon pont de charpente sur l’Harricana pour que la ligne puisse traverser.Il avait une voix grave qui vibrait un peu.Ses joues tremblaient quand il parlait.Il passait souvent sa paume sur son front incliné qui fuyait loin avant de rencontrer des cheveux bruns partagés par une raie centrale très blanche.Il avait de fortes mains potelées.En parlant et en écoutant, il lui arrivait constamment de tambouriner sur la table du bout de ses doigts ronds aux ongles courts.Quelques roulements rapides, puis il s’arrêtait, croisait les mains comme pour les contraindre à l’immobilité.Mais, un instant après, elles échappaient à sa surveillance, se désunissaient pour recommencer leur tambourinage
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