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.Celui de la paix.Il serra le poing.Il marchait autour de la chaise, lentement, parlant autant pour Escartille que pour lui-même.— Comment vouloir la paix lorsque tous ne pensent qu’à la guerre ? Oui, que dira-t-on dans mille ans, si ma tâche traverse l’Histoire ? Crois bien que je ne tire ni gloire ni vanité de cela ; loin de m’emplir d’aise, cette seule idée suffit à assombrir mes pensées, et cette ombre préside à chacune de mes décisions.Je sais, Escartille, comprends-tu ? Je sais que j’ai raison d’avoir ployé comme le roseau, ainsi que je l’ai fait jusqu’à maintenant, malgré Béziers, malgré la mort de mon neveu, malgré ces villes pillées et massacrées.Et je sais que j’ai tort d’avoir raison.Il s’arrêta, les sourcils froncés, contemplant le sol.— Que pensera-t-on de la liberté dans mille ans ?Le troubadour leva les yeux vers Raymond VI.Celui-ci sembla soudain sortir de ses méditations.Il alla chercher non loin une épée, qui en croisait une autre sous deux écus frappés des armoiries de Toulouse.Puis il revint vers Escartille.Il lui posa le plat de l’épée sur l’épaule.— Regarde, Escartille.Le troubadour ne comprit pas.De nouveau, il leva les yeux vers le comte.— Regarde cette lame.Désormais, c’est elle qui va parler.Nous serons bientôt prêts, Montfort le sait.Le choc sera sans doute terrible, et sans plus de rémission qu’à Béziers, Carcassonne, Bram ou Lavaur.Il fit mine d’adouber Escartille, qui ne bougeait pas.Puis il lui tendit l’épée.— Regarde, troubadour.Toi qui ne pensais qu’aux cours d’amour, aux dames et aux laisses bien composées.Prends cette épée avec toi, tu seras des nôtres.De ceux que la nature portait vers l’amour, et que les circonstances feront guerrier.Tu as porté l’étendard de mon neveu, tu porteras le mien.Escartille cligna des yeux, ne sachant comment prendre ce simulacre d’adoubement.— Prends-la.Le troubadour hésita un instant.Puis il se saisit de l’épée.Le lendemain, Escartille se retrouva dans cette même salle.Mais cette fois, ils n’étaient plus cinq ou six, disséminés dans cet endroit immense, ils étaient plusieurs centaines.Le troubadour tenait Aimery entre ses bras, non loin du fauteuil où avait pris place le comte de Toulouse ; il s’était aligné avec les barons sur le flanc droit de la salle, et faisait face aux autres barons qui composaient une haie similaire.Léonie était avec ses sœurs derrière la garde toulousaine.Elle envoyait de temps en temps un sourire au troubadour.Sur un signe de Raymond, le brouhaha s’apaisa.On annonça alors le roi d’Aragon, qui fit son entrée avec sa suite, entre les immenses tentures rouges qui encadraient les portes de la salle.Il avait plus que jamais l’air d’un conquérant.Son armure brossée et lustrée pour l’occasion, ses armes déployées, il s’avançait, dans le plus grand silence.Le jeune Raymond VII était avec lui.Arrivé à quelques mètres du comte, son visage se détendit.Il sourit et écarta les bras en avançant encore.Le comte de Toulouse lui donna l’accolade.Ne se contenant plus, la foule partit dans un tonnerre d’acclamations.— Vous voici, murmura Raymond à son oreille.Voici enfin notre bras le plus précieux.Raymond recula de quelques pas et se tourna vers l’assemblée.— Mes amis, saluez l’arrivée du roi !Tous s’agenouillèrent.C’était un beau spectacle que de voir ces soldats, ces consuls, ces dames de Toulouse baisser la tête, écarter les pans de leurs capes, de leurs robes et de leurs manteaux, et ce roi, debout avec le comte, qui promenait sur eux un regard bienveillant.Pierre II venait de repousser les Maures à Las Navas de Tolosa, à la suite d’une bataille épique où des milliers d’Espagnols avaient trouvé la mort.Plus que jamais, en roi très chrétien, il pouvait se prétendre l’un des plus ardents défenseurs de l’Église catholique.Auréolé de cette gloire nouvelle, il avait espéré amadouer Innocent pour lever la mainmise catholique sur ses terres occitanes.Il s’était trompé.Le pouvoir des évêques de Rome avait été le plus fort.Pierre II ne décolérait pas ; et puisqu’il en était ainsi, il avait décidé de venir mener lui-même le combat.Raymond VII alla se placer auprès de son père, tandis que la foule se relevait.En se redressant, le troubadour vit le chevalier de Scala qui suivait le roi.Et il eut soudain un tel choc qu’il manqua de défaillir.Instantanément, il plaça sa main sur l’épaule de son voisin, un soldat qui, surpris, tourna la tête vers lui en haussant un sourcil.— Lui, murmura le troubadour.Lui !Revêtu de sa cape noire, avec pour motif trois roses d’or entrelacées, l’allure fière et hautaine, une main s’attardant sur son épée damasquinée, le chevalier Don Antonio de Bigorre avançait à son tour, tout près de Scala.Il avait ce même pli de dédain sur les lèvres, ce même regard dur et pénétrant qui, à Puivert, avait su transpercer le troubadour mieux que ne l’eût fait la dague la plus effilée.Lui !Les chefs aragonais entraient dans la salle avec leurs gens ; ils rejoignaient ceux de leur pays qui séjournaient déjà depuis plusieurs semaines à Toulouse ; les Occitans les accueillaient avec chaleur ; les uns et les autres commençaient de se mêler, tandis que Raymond VI continuait son mot de bienvenue.Don Antonio passa alors tout près du troubadour.Lui aussi, abandonnant provisoirement son masque impassible, avait esquissé un sourire, regardant lentement à droite et à gauche.Et soudain, il se figea, tombant nez à nez avec Escartille.Il en eut un instant le souffle coupé.Vous, disaient ses yeux.C’est vous que je retrouve ici ! Les deux hommes se regardèrent sans ciller, puis Don Antonio considéra l’enfant qu’Escartille tenait entre ses bras.Aimery levait vers lui un visage frais, ses mains dansant autour d’un morceau de tissu qu’il s’évertuait à saisir.Il répétait sans suite les premières syllabes qu’il avait apprises à prononcer, et jetait au-dessus de lui un regard plein de curiosité.Un tremblement – était-ce encore de colère ? – agita la lèvre inférieure de Don Antonio, mais pour la première fois, il parut désorienté.Il fronça les sourcils et, un bref instant, lança un coup d’œil derrière lui, en direction des portes.Cela n’échappa pas au troubadour, qui suivit aussitôt cette direction.Loba la Louve était là, avec Inès, sa confidente, et les autres servantes de son aréopage.Louve était là !Le cœur d’Escartille bondit dans sa poitrine ; si ce n’était le commandement de l’étiquette et le nombre de ces gens qui envahissaient la salle en rangs serrés, il se serait précipité en avant.Il voulut crier, mais son cri resta bloqué dans sa gorge.Louve est ici, sous mes yeux ! répétait en lui une voix chantante ; il s’en trouvait soudain paralysé.C’était comme s’il assistait à un glorieux miracle, à une résurrection, à une nouvelle épiphanie
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