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.Elle sourd des buissons, des arbres, des nuées invisibles et du fleuve pour s’installer partout.Raoul la voit venir avec joie.Quand elle sera là, il n’y aura plus aucun risque de rencontrer personne.En moins d’une heure, elle est partout.Une fois le noir bien formé, le trappeur se met à ramer sur une autre cadence.Il ne ralentit pas, mais, à peu près toutes les trente ou quarante tirées, il suspend son mouvement et tourne la tête lentement dans tous les sens.Le seul bruit est celui du crépitement sur son feutre, sur son ciré et tout autour.Il repart.Et c’est au cours d’un de ces arrêts qu’il perçoit une présence.Aussitôt, il oblique vers la rive, puis suspend à nouveau son geste.Écoute.Pas de doute, un canot monte.Il n’est pas loin.Écoute encore.Il n’y a qu’un rameur qui va pas mal mais ne doit pas avoir une aussi bonne vue que lui, car il hésite souvent.Le trappeur retient son souffle.Le canot sera bientôt à sa hauteur.Il passe.L’homme est vraiment seul.Doucement, le trappeur laisse aller de ses lèvres les cinq ululements du grand duc.La réponse est immédiate et Raoul demande :— C’est toi, Steph ?— Merde ! Je t’ai passé sans te voir.Ils se rapprochent l’un de l’autre.— Qu’est-ce qu’il y a ?— On a l’impression qu’ils savent où il est.Je voulais vous prévenir.— Comment y peuvent savoir ?— Je comprends pas.Y sont allés interroger toute la famille Rougeraud, ça peut pas venir de là.Le père est pas un homme que j’aime, mais il est persuadé que vous avez filé droit sur le nord.Y sont venus chez nous, la mère les a foutus dehors, j’aurais voulu que tu voies ça !— T’es certain qu’ils t’ont pas vu partir ?— Avec ce temps, si t’en vois un dehors…Raoul commence à expliquer ce qu’il comptait faire mais son neveu l’interrompt :— C’est foutu.De toute manière, l’île, c’est trop risqué.Personne peut tenir là.Seulement, son histoire, ça a bougrement remué…— Il est pas mort, le gars ?— Non.Mais je crois qu’y vaut guère mieux.— Alors ?— Ben, ça a excité les autres M.P Paraît qu’il va en arriver de nouveaux.Alors, y a plusieurs jeunes qui ont foutu le camp.— Où ça ?Comme si on risquait de venir les épier dans cet univers noyé, Steph baisse la voix pour répondre :— Chez le curé de Val Cadieu.C’est là qu’il faut descendre.Il y a un instant de vide que l’averse envahit totalement, puis, ayant réfléchi très vite, Raoul ordonne :— On va laisser mes deux bateaux ici, on les prendra au retour.On va monter le chercher avec le tien.Y filera direct là-bas.— J’ai un sac.— Passe-le, on va le laisser ici.Personne risque de venir.Le trappeur a pris l’initiative.Il ordonne, il force la manœuvre, il amarre, à une racine de la rive, les deux embarcations jumelées.— Est-ce que tu lui as monté son ciré ?— Pas le sien.On a rien dit à sa mère.J’ai pris au magasin le plus large que j’ai pu trouver.J’espère que ça ira.Ils font tout en aveugle mais sans une fausse manœuvre.Raoul passe à l’arrière de l’autre canot et, sans un mot, il donne le premier coup de pagaie.Aussitôt Stéphane s’aligne sur lui.La cadence s’établit immédiatement et le canot mord le fleuve qui chante en écho à l’averse.Raoul scrute la nuit.Le moindre reflet est une indication, la seule pression du courant sur un bord ou sur l’autre suffit à le guider.À peine essoufflé, au bout d’un moment, Steph demande :— Tu sais à quoi je pense ?— À quoi ?— Notre arrivée.— C’est pas d’hier.(Le temps de trois tirées de pagaie.) Ça fait trente et un ans.T’étais moins lourd.Ils vont un long moment, puis Steph dit :— C’était peut-être la misère, mais, des fois, je regrette ce temps.Les voici déjà au lac.Ça se sent au mouvement du bateau, à la musique contre la proue et ça se voit à une clarté plus diffuse qui se déploie devant eux avec, en son centre, une longue masse d’ombre pareille à un animal endormi.— Tu vois l’île ? demande le trappeur.— À peine.— J’ai encore meilleure vue que toi.— T’as l’habitude.Comme pour lui, avec tristesse, Steph ajoute :— T’as de la veine.Ils ont à peine fait la moitié de la traversée que Raoul lance son ululement.Pas d’écho.L’averse le tue.Mais, après quelques secondes, la réponse du trapu arrive.Raoul répète une fois son cri.L’autre répond.Puis, dans la forêt, un vrai grand duc ulule timidement.— Y va sûrement venir, mais l’aura pas l’idée de prendre les sacs.— Merde pour les sacs.Je remonterai les chercher.Faut pas s’éterniser, le temps pourrait se casser.Raoul dirige le canot droit sur l’anse où il a pris terre la veille.— Reste là, je vais à sa rencontre.À peine a-t-il fait quatre pas qu’Amarok déboule comme un taureau en secouant les broussailles.— Bonsoir, t’es déjà là, toi !Raoul bondit et s’engage entre les arbustes qui font redoubler l’averse sur son passage.Le chien est reparti pour revenir bientôt.Timax doit être tout proche.Le trappeur s’arrête.Il l’entend arriver.Bruit de cascade et rugissement rauque.— T’as fait vite, bon Dieu !— Je suis parti avant ton signal.Le chien tenait plus en place.Y t’avait senti remonter.Le costaud n’est qu’un énorme halètement.Sa voix est nouée par l’angoisse.— Qu’est-ce qu’il y a ?— Faut se tirer.Steph est là.— Le gars est mort ?— Non.— Alors ?— On t’expliquera.— Et Gisèle ?Raoul ne peut s’empêcher de ricaner :— Tu penses pas que Steph te l’a amenée ?— Une chance que j’aie pris les sacs.— T’es moins con que je croyais.— Je me suis dit, on sait jamais.Ce chien m’inquiétait.Raoul a pris un sac et une toile gorgée d’eau qui pèse une tonne.Amarok a déjà filé en direction de la rive.À présent, c’est entre eux et Steph qu’il fait la navette.Les hommes ont repris leur marche.Raoul entend l’autre grogner derrière lui et pester comme il fait chaque fois qu’on l’oblige à se presser.Le chien est déjà installé à la proue.Ils embarquent tout
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