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.— J’ai passé le plus clair de ma vie assis dans ce bureau, dit-il d’un air ravi.Et la plupart du temps j’ai joué les brutes épaisses : ça m’est égal.Après tout c’est le rôle d’un shérif.Mais, de temps en temps, ça me réchauffe le cœur de voir un faire-valoir borné me donner la réplique.— Un faire-valoir ? dis-je, suffoqué.— C’est beaucoup plus difficile que de jouer les comiques, réplique-t-il froidement.Mais revenons un moment à votre tragédie grecque.Ce qui m’ennuie, c’est que l’affaire pourrait en devenir une, justement.— Qu’est-ce que vous voulez dire ?— En composant sa pièce, le metteur en scène comptait peut-être qu’il n’y aurait qu’un seul assassinat et il a écrit les rôles en conséquence.Maintenant vous avez mis la pagaille en inventant de nouvelles répliques et de nouveaux jeux de scène.Je ne voudrais pas que nous finissions avec quelques assassinats supplémentaires qui n’auraient jamais eu lieu si nous avions laissé le metteur en scène maître de la situation.J’ai l’impression de recevoir un coup de pied dans l’estomac.Lavers vient de mettre le doigt sur un point essentiel que j’ai négligé : c’est que mon truc comporte des risques.Et maintenant, il est trop tard pour faire quoi que ce soit.— Vous croyez avoir affaire à un assassin qui se prend pour le bon Dieu, Wheeler.Vous avez peut-être raison mais vous auriez dû résister à la tentation de vous prendre pour le bon Dieu, vous aussi.Ça risque de coûter beaucoup trop cher.Surtout si les autres acteurs ignorent qu’ils jouent dans cette superproduction.Vous ne croyez pas ?— Si, c’est vrai.Je n’avais pas pensé à ça.Je devrais sans doute vous remettre mes oreilles ?— Si vous comptez que je vais me mettre à pleurer, vous en serez pour vos frais.Je ne pleure que le vendredi.C’est le jour où je rends des comptes au Conseil municipal ; il faudra que j’essaie d’expliquer pourquoi mon bureau se livre à des dépenses énormes parfaitement inutiles, comme votre traitement, par exemple.— J’allais partir, shérif.— Il est grand temps, beugle-t-il.Où est-ce que vous vous croyez, ici ? Dans une maison de repos ?Je sors précipitamment du bureau et me retrouve dehors, les jambes tremblantes.Vanné n’est pas le mot : je suis crevé, vidé, mort.Une nuit avec Hilda, c’est merveilleux et absolument divin, d’accord, mais c’est aussi crevant qu’une semaine de labeur acharné.Et puis, je ne peux rien faire qu’attendre.Alors, autant attendre chez moi, et même dans mon lit.La seule idée de dormir m’arrache un gémissement de plaisir.Je suis sur le point d’aller la mettre à exécution quand la main de fer du Destin s’abat une fois de plus sur moi.— Al, mon chou ?…C’est une voix lente et parfumée (jasmin, magnolia et frangipane, en parties égales) qui me fait frissonner jusqu’aux moelles : celle d’Annabelle Jackson.Je chevrote :— Bonjour, Annabelle !— Vous allez sûrement être content de voir comme je fais confiance à ce cher vieil Al Wheeler, dit-elle tendrement.Je vais laisser à la maison mon cher petit fusil de chasse.— Formidable !— Mais n’oubliez pas : vous vous êtes amendé•— Je passe vous prendre à huit heures ?Au prix d’un effort surhumain, je m’arrache un sourire qui me reste bêtement collé sur la figure.— Mon chou, dit Annabelle avec un certain étonnement, vous avez les traits bien tirés.Je murmure, entre mes dents :— A huit heures, chez vous ?— Je vais vous faire une belle surprise, Al, roucoule-t-elle gaiement.A huit heures, c’est moi quiviendrai chez vous.Et ne vous occupez de rien.J’apporterai le dîner.— Quelle idée merveilleuse ! dis-je en frissonnant.Qui vous l’a donnée, ma fleur embaumée ?— Depuis quelque temps, je suis des cours de cuisine, dit-elle, fièrement.— Annabelle, mon cœur, des vitamines ! Il faut que j’aille prendre des vitamines.Désolé de vous quitter si vite… Chez moi, ce soir, vers huit heures…— A huit heures tapantes, mon chou.Tapantes ! Je pars en titubant.Et tant pis pour Lavers : je ne vais pas attendre vendredi : je vais éclater en sanglots tout de suite.CHAPITRE XJe ne doute pas qu’Annabelle ait préparé un dîner merveilleux et je suis vraiment désolé d’avoir subitement perdu l’appétit.Elle m’assure qu’elle s’en fiche totalement et je la crois jusqu’à l’instant où je surprends le regard furieux qu’elle lance au poulet frit pratiquement intact et aux crêpes Suzette refroidies qui commencent à se friper sur les bords.— Je vais vous faire une proposition, mon cœur, dis-je en m’efforçant âprement de mettre un peu d’entrain dans ma voix qui est devenue de plus en plus lugubre au cours de la soirée
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